Pour cette deuxième séance du Groupe de Travail des Archives Husserl, nous avons le plaisir de recevoir :
Nicolas Delon et Raphaël Larrère
Les animaux d’expérimentations :
objets
techniques,
objets
éthiques
Dans
cet
exposé
conjoint
nous
aimerions
présenter
l’expérimentation
animale
comme
un
champ
d’activité
où
l’animal
en
général
(mais
à
différents
degrés)
apparaît
contradictoirement
comme
un
objet
technique
et
un
objet
éthique.
L’expérimentation
comme
problème
fait
l’objet
d’une
part
des
théories
morales
(éthiques
animales),
d’autre
part
du
point
de
vue,
en
partie
moral,
de
ses
acteurs
mêmes.
La
première
partie
de
cette
étude
portera
sur
les
principales
positions
en
éthique
animale
sur
la
question
(utilitarisme,
kantisme,
théorie
des
droits,
contractualisme,
capabilités,
care).
Après
avoir
montré
que
l’expérimentation
animale
est
bien
un
problème
éthique,
on
analysera
les
forces
et
les
limites
des
principales
positions,
pour
défendre
une
forme
de
contextualisme :
le
cadre
expérimental
est
un
contexte
particulier, mais
il
faudra
se
demander
dans
quelle
mesure
il
est
pertinent
au
point
de
justifier
une
différence
de
traitement
par
rapport
à
d’autres
contextes
quant
à
eux
véritablement
pertinents
(communauté
domestique
par
exemple).
Il
importera
également
de
souligner
la
diversité
des
catégories
d’animaux
impliqués
dans
l’expérimentation
(des
rats
aux
primates
en
passant
par
les
vaches).
Cette
complexité
intrinsèque
(contextuelle
et
catégorielle)
de
l’expérimentation
est
renforcée
par
les
prétendus
conflits
d’intérêts
(humains
vs.
animaux)
qui
s’y joueraient.
L’utilisation
de
l’utilitarisme
pour
légitimer
la
plupart
des
formes
d’expérimentation
(scientifique,
médicale)
peut
être
interrogée,
comme
l’idée
même
que
l’expérimentation
serait
une
sorte
de
cas
« canot
de
sauvetage »
(life-boat
case). Derrière
l’apparente
évidence
que
le
bienfait
de
l’humanité
et
la
liberté
de
la
science
légitiment
de
concevoir
l’animal
d’expérimentation
comme
un
sacrifié
exceptionnel,
se
joue
la
routine
d’une
réduction
de
celui-ci
à
une
simple
chose (un instrument,
certes précieux, au service de la science ou d’une production),
en
contradiction
avec
la
valeur
non instrumentale par
ailleurs
reconnue
aux
mêmes
animaux
et
avec
les
présupposés
épistémologiques
mêmes
de
l’expérimentation.
Or,
comme
le
montrera
la
seconde
partie
de
l’exposé,
même
sur
le
terrain
cette
réduction
ne
va
pas,
en
pratique,
de
soi
aux
yeux
de
tous.
La deuxième
partie
partira
donc
du
terrain
pour
présenter
ce
qu’on peut
appeler
l’ « éthique
spontanée »
des
acteurs
de
l’expérimentation
(chercheurs,
techniciens,
animaliers).
Cette
éthique
consiste
en
un
« bricolage
éthique »,
révélateur
du
problème
même
que
nous
avons
identifié,
mais
porteur
en
même
temps
d’une
tension
entre
le
statut
moral
ambivalent
de
différents
animaux
(jusqu’au cas
singulier
de
l’animal
cloné,
d’autant
plus
chéri
qu’il est
le
fruit
de
nombreux
ratés)
et
les
exigences
(scientifiques,
techniques,
économiques)
de
l’expérimentation.
Instrument technique, l’animal est en même temps un être vivant perçu comme
tel. De
l’utilitarisme
(en
réalité
biaisé)
officiel
de
la
recherche
au
kantisme
spontané
(« respect »
et
« dignité »)
de
celui
qui
a
directement
affaire
à
l’animal,
on
trouve
une
variété
de
positions
et
de
conflits
qui
traduisent
un
malaise
plus
général
face
à
un
objet
ambivalent.
L’intérêt
d’une
telle
étude
est
de
souligner
les
enjeux
institutionnels
du
contexte
qu’est
le
cadre
expérimental.
Aux
problèmes
éthiques
soulevés
par
le
sort
des
animaux
eux-mêmes
s’ajoutent,
souvent
ignorés,
des
problèmes
éthiques
(d’ordre
hiérarchique
et
psychologique)
rencontrés
par
les
acteurs
eux-mêmes.
L’éthique
spontanée
des
animaliers
doit
être
prise
au
sérieux
et
accompagnée,
d’autant
plus
qu’elle
suscite
des
résistances
de
la
part
des
acteurs
hiérarchiquement
supérieurs
(chercheurs),
pour
qui
considérer
l’expérimentation
comme
un
problème
éthique
serait
en
soi
porter
atteinte
à
la
science.
Plusieurs
anecdotes
récoltées
directement
auprès
des
différents
acteurs
reflètent
ces
multiples
tensions,
notamment
au
sein
de
l’Inra,
et
éclairent
de
l’intérieur
le
problème,
moral
et
social,
que
constitue
l’expérimentation
animale.
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